Ana Kesselring


A artista vem desenvolvendo um trabalho que se foca na compreensão e representação de uma noção de corpo expandido. O corpo, no caso de sua pesquisa, engloba o humano - na maior parte das vezes feminino -  mas também o corpo animal, vegetal e mineral. Buscando maneiras de amalgamar esses elementos diversos, de forma a refletir a interdependência dos corpos do mundo e a interligação de todas as espécies viventes. Os trabalhos são constantemente fragmentados, de forma a evidenciar uma vontade de unir, mas também a dificuldade para tanto.
Ana Kesselring usa várias técnicas,entre elas cerâmica, gravura, pintura, desenho, fotografia.


TRABALHOS
2021
Nortando-me

2020
Relicário
Nas Junias
Aquiles Sangrando Bic

2019
Confissões Barrocas
Cogito
Redenção

2018
Coluninha
As Varíneas

2017
Empilhamento
Corpo Estranho
Corpinho
Contendo
Carapaça

2016
Corpos do Mundo
Anatomias
Coraçao de Boi
Corpos do Mundo - Desenhos
Aquáticas

2013
As Bucólicas

2012
Eva

2011
Guilhotinada

2007-2014
Corpotopias

EXPOSIÇÕES
2022
Algae Odyssey, Museu de História Natural e da Ciência, Laboratório de Química Analítica, Lisboa

2018

Arco Xabregas, Lisboa
Corpos Estranhos, Paço
Imperial, Rio
de Janeiro

2016
Ar.Co Lisboa
Ar.Co Almada
Corpos do Mundo, DConcept Escritório de Arte, São Paulo

2015
Da Escrita, Delas, Elas, Museu da República, Rio de Janeiro

2013
Portes Ouvertes, Atelier Ana Kesselring, Paris

2009
Mundo sem Molduras, MAC USP

2008
Corpotopias, Gravura Brasileira, São Paulo

2007
Corpotopias,
Galeria Sycomoreart, Paris

Corpotopias
Cité Internationale de Arts, Paris

TEXTOS
Multiespécies no trabalho de Ana Kesselring 
Regina Johas 2021


Ana Kesselring – Corpos estranhos
Ligia Canongia

Corps du Monde (Corpos do Mundo)
Fabiana de Moraes

O que é uma Corpotopia?
Henrique Marques-Samyn

Entrevista
Ju Chohfi

Tese de Mestrado, Universidade Paris 8 :
La construction de l’image dans l’oeuvre de Kiki Smith - du pli à la peau, de la peau à l’empreinte - quand les corps du monde s’entremêlent.

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Université Paris VIII Arts, Philosophie, Esthétique






La construction de l’image dans l’oeuvre de Kiki Smith - du pli à la peau, de la peau à l’empreinte - quand les corps du monde s’entremêlent





Mémoire d’Arts Plastiques
Art contemporain et Nouveaux Médias







Rédigé sous la direction de M. Eric Bonnet par Ana Cecilia Kesselring





Septembre 2010







fig. 1
fig. I

fig. 1 Du cahier de dessin de l’artiste, dans le catalogue de l’exposition « Kiki Smith : Silent Work », MAK, Vienne, 1992.




Introduction



    L’œuvre de Kiki Smith aborde le corps sous toutes ses formes: le corps intérieur, celui des organes, du sang et des os; le corps avec ou sans la peau, à vif ou comme dans une coquille; le corps fragmenté, comme tronçonné en plusieurs parties. Mais aussi le corps physiologique, le corps dans ce qu’il a de plus vil. On pourrait aussi parler du corps mythique, du corps symbolique ou encore du corps chamanique. Et aussi du corps fabuleux. En fait, les corps évoqués dans l’oeuvre de Smith sont multiples, et, parfois, ils se superposent les uns aux autres. Ils sont tour à tour complexes ou très simples. Ce sont des corps qui dépassent toujours les formes présentées.
    On trouve également dans son œuvre, les diverses mutations du corps. La critique américaine Helaine Poesner écrit à ce propos:
    « Depuis qu’elle a commencé son travail de recherche artistique au début des années 1980, Kiki Smith a aussi raconté des histoires. L’ensemble du conte qu’elle a narré, prend la forme de son propre mythe de la Création, c’est à dire un engagement et une reconstruction de récits narratifs, religieux, littéraires et d’art historique qui définissent la façon dont on comprend nos origines et notre existence, avec le corps comme centre d’intérêt. Bien que ses premières références aient été relatives à l’histoire de la création chrétienne, elle a aussi emprunté librement à diverses traditions culturelles pour exprimer sa vision personnelle. Dans la création de ses récits, l’humanité débute d’une façon pitoyable : Adam et Eve ont perdu la grâce. Une fois expulsés du Paradis ils en ont été privé , ont souffert de la maladie et connu la mort. La perte inévitable et la désintégration qui s’ensuivent, est rendue manifeste par Smith, dans l’isolement, la fragmentation et la ruine du corps ou de certaines de ses parties. Au cours de la progression de son oeuvre, elle a compris que sa mission n’était rien moins que la guérison de notre moi morcelé, et elle a trouvé ce renouveau à travers les descriptions remarquables des icônes chrétiennes, telles que celles de la Vierge Marie et de Marie-Madeleine.
    Son but, en réinterprétant ces fables, est de ramener l’humanité à un état de grâce, en imaginant un royaume idéal où les êtres humains, le monde animal et végétal, vivraient en harmonie.
    Le voyage extraordinaire de Smith culmine vers un retour au jardin d’Eden. Il débouche dans un jardin enchanté qui est le cadre naturel et miraculeux des histoires de la Bible, des mythes et des contes »1
    L’artiste, elle-même, parle d’un parcours, en disant plus simplement qu’elle est partie du microscopique pour aller vers les organes, des organes aux systèmes, des systèmes aux corps, puis au corps religieux, et enfin aux corps cosmiques2 .
    J’ai choisi comme sujet de Mémoire le travail de Kiki Smith. Mon objectif n’est pas d’aborder toute l’oeuvre de Smith. Il s’agit plutôt, à partir de la diversité des travaux réalisés par l’artiste, d’en choisir les plus significatifs pour élaborer un parcours. Le processus que je cherche à établir est celui de la reconstruction de l’image du corps. Mettre au jour une telle reconstruction nécessite des contraintes au niveau des choix non seulement idéologiques, mais aussi thématiques et techniques.
    Mais pourquoi parle-on de reconstruction du corps au lieu de construction ? Tout simplement parce qu’il s’agit de déconstruire, avant de pouvoir construire. Déconstruire tout un imaginaire du corps conçu avant que Kiki Smith ne commence à se pencher sur le sujet. C’est une idéologie du corps, son statut dans les arts au milieu des années 80, qu’il s’agit aussi de questionner, mais pas seulement. Le corps, qui fait l’objet de cette déconstruction, est celui de l’expérience accumulée depuis presque un siècle, pour parler en termes historiques, et seulement du passé proche. C’est le corps des débuts de la psychanalyse, le corps qui a vécu deux guerres, le corps du surréalisme, le corps du féminisme, du mouvement hippie. C’est le corps qui est blessé, et qui a besoin de montrer sa blessure (« show your wound », selon la formule de Joseph Beuys). Aux artistes de l’après-guerre, il a fallu re-regarder ce corps et en même temps essayer de le reconstruire. Ce corps à qui les artistes de la génération de Kiki Smith font face, est par exemple, le corps qui vit sous le signe du Sida. On pourrait dire aussi, que c’est un corps qui est de plus en plus défini dans son essence par la science. Les problèmes et les solutions trouvés par Kiki Smith pour reconstruire l’image d’un tel corps, seront l’objet de notre analyse. 
    Ce corps segmenté, le reflet d’une fragmentation de la conscience, se reflète donc dans les images anatomiques, au début du travail de Smith, pour ensuite aller vers sa restructuration. C’est la fabrication même de ces images qui nous intéresse.
    Du corps fragmenté au corps relié, Smith fait de son parcours un chemin complexe, qui, sous divers aspects, devient un nouveau modèle de travail plastique pour toute une génération d’artistes.
    La série Corpotopias part également de l’idée du corps fragmenté pour retrouver le chemin de la reconstruction, même si ce processus est parfois très différent de celui de Smith. À partir du morcellement des images anatomiques, j’ai essayé de déconstruire les représentations classiques du corps, pour ensuite retrouver des images nouvelles.
    Le mémoire se divise en deux lignes majeures : le corps fragmenté et le corps « relié » ou reconstruit. L’interaction entre ces deux « états » est faite, dans l’analyse, par les corps « abjects »3 de Smith.
    Comme arrière-plan de ces réflexions, les idées de l’anthropologue français, David Le Breton, jouent un rôle majeur, de même que celles de certains autres auteurs, comme Michel Bernard. À travers son regard d’anthropologue, Le Breton trace dans son oeuvre une analyse détaillée des imaginaires du corps dans différentes cultures. Mais c’est surtout dans la culture européenne que l’anthropologue localise ce qu’il appelle, une coupure entre le corps et l’homme. À travers ses réflexions, on retrouve le parcours qui a fait du corps de l’homme un support. Les concepts de Le Breton donnent en quelque sorte une base qui dépasse celle du domaine de l’histoire de l’art dans le travail de Kiki Smith, où elle propose des réponses aux inquiétudes qui sont l’objet du travail de recherche de l’anthropologue. Le travail de cette artiste, peut être assimilé à une quête romantique de l’union du corps avec la totalité des êtres vivants et le cosmos. De ce point de vue, on retrouve dans son oeuvre l’idée de correspondances entre microcosme et macrocosme qui existait jusqu’à la Renaissance. 
    Il faut aussi dire que le corps que Smith invente est surtout un corps féminin dans une époque féministe. Le corps de la femme est exposé à tout ses âges : de l’adolescence à la maturité. C’est peut-être pour cette raison, que les divers textes autour de son oeuvre sont écrits par des critiques femmes, associées au féminisme. L’artiste elle-même, prend, au sujet du corps féminin, et ce, à diverses reprises dans des entretiens, une position assez « féministe » sans pourtant être militante. J’ai essayé de prendre du recul par rapport à ces points de vues. Séparer ce qui est de l’ordre du contexte du féminin, de ce qui est de l’ordre du féminisme, ou tout simplement c’est qui est de l’ordre de l’humain dans l’oeuvre de Smith m’a paru extrêmement important. Son oeuvre va au-delà d’une problématique purement féministe ou même féminine, elle parle de la condition humaine, animal, et enfin, existentiel. Mais il est difficile de nier une réaffirmation de la condition de la femme et une exposition du corps dans son vécu féminin dans son oeuvre. 
    Par rapport a la relation qui est établi ici entre son oeuvre et ma série de travaux intitulée Corpotopias, l’axe de cette correspondance se fait principalement à travers la gravure. Je considère que l’oeuvre graphique de Smith a une importance majeure pour les arts graphiques et l’art contemporain en général. L’artiste n’a pas seulement beaucoup travaillé la gravure, elle a également réussi a réintégrer la gravure dans un contexte contemporain. Après ses expériences dans d’importants ateliers d’impression américains, la gravure devient pour Smith un nouveau chemin d’investigation, reprenant une technique ancienne. En transformant des formats traditionnels en grands formats, Smith parvient à métamorphoser l’intimité de la gravure en objet de ses installations, en les mêlant à des sculptures ou en les posant au sol. 
    Il m’a également paru judicieux de parler de la signification des choix de Smith, au niveau de la technique. Que veut affirmer l’artiste, à travers l’adoption de techniques très « manuelles », comme la gravure et le moulage ? Ou encore par l’utilisation de matériaux, quelquefois très simple et fragiles, comme le papier ou le papier mâché ? Que cela soit les matériaux précaires liés à la fragilité et l’impermanence du corps, ou les matériaux changeants, dans lesquels Smith classe le bronze, la matière est au centre des enjeux de la création de Smith. Pourtant l’artiste ne semble pas vouloir s’enfermer dans des catégories ; alors que son travail avec des matériaux précaires était déjà reconnu, elle s’est mise à travailler avec le bronze. Comprendre chaque mutation dans le parcours d’une artiste qui a beaucoup expérimenté au niveau des techniques m’a paru aussi important que de comprendre les enjeux conceptuels des oeuvres. 
    L’oeuvre Corpotopias s’est construite sous l’influence de Smith. Pourtant, pendant plusieurs années, cette influence n’était pas liée à une compréhension intellectuelle. Celle-ci n’a réellement commencé qu’à partir de ce Mémoire, quand j’ai essayé de comprendre plus profondément ce qui m’a frappé de façon intuitive ou quelquefois de façon purement plastique dans l’oeuvre de Smith. À quel point mon oeuvre s’associe à celle de Smith ? J’ai essayé d’établir des points de convergences et de divergences à divers moments de l’analyse. 
    Finalement mon intérêt pour l’oeuvre de Smith est aussi vivement marqué par le fait qu’elle raconte des histoires. À diverses reprises dans l’oeuvre de Smith ainsi que dans la mienne, on peut ajouter que la reconstruction de l’image du corps prend une tournure personnelle. Cette reconstruction prend quelque parfois le sens de « cure », au sens de soin, en mélangeant la création à la vie du créateur. Smith mentionne plusieurs fois une sorte de « mission », soigner un corps fragmenté (le sien ?) ou faire revivre le corps, comme un Frankenstein, à partir des divers morceaux de corps sans vie. 
    La question finale du Mémoire c’est de savoir jusqu’à quel point la construction de l’oeuvre se mélange à la vie des artistes, sans être ouvertement autobiographique. Et aussi d’enquêter sur l’influence d’une telle démarche sur le public. Joseph Beuys croyait que l’art pouvait changer la société. Jusqu’à quel point les images de Smith, qui circulent dans une très large échelles dans les musées les plus importants du monde, peuvent affecter la perception du corps dans la contemporanéité?


Notes
1 Helaine Poesner, Telling Tales, International Center of Photography, New York, 2001, p. 5
2 Kiki Smith, « In her own words », entretien avec David Frankel. Dans Kiki Smith, Bullfinch Press Books, New York, 1998, p.35
3 Le Corps « Abjet » est un concept forgé par Julia Kristeva dans Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection, Seuil, Paris, 1980.


fig. 2
fig. II fig. 2 Du cahier de dessin de l’artiste, dans le catalogue de l’exposition « Kiki Smith : Silent Work », MAK, Vienne, 1992.

Chapitre I
Le corps anatomique


I.1. Les origines du corps anatomique dans l’oeuvre de Kiki Smith



    Helaine Proesner précise qu’« au milieu des années 80 Kiki Smith s’était entièrement engagée à explorer le sujet qui allait occuper sa vie artistique pendant presque quinze années : le corps humain, dans son intégrité et fragmenté. L’engagement de l’artiste dans la représentation du corps est enraciné dans sa perspective fondamentalement humaine. L’artiste affirme : « je pense que je choisis le corps humain parce qu’il est quelque chose avec lequel tout le monde vit une expérience authentique ». Pour Smith, le corps est la condition existentielle, qui crée les possibilités et détermine les contours d’une vie vécue dans un temps et un endroit particulier » 4.
    L’oeuvre de Smith part de l’intérieur du corps disséqué, qui est pour ainsi dire un corps mort. L’artiste parle de sa fragile condition émotionnelle à l’époque où elle a commencé à travailler. Quand David Frankel lui demande comment elle s’est engagée dans la création artistique, elle répond qu’elle était très influencée par le mouvement « Pattern and Decoration » 5, et qu’elle aimait bien « les choses décoratives ». C’est pour cette raison, qu’en 1979 elle a confectionné des housses et des draps peints avec des bras et des jambes coupés, un oeil, et une bouche. Le critique remarque, non sans ironie, que ce ne sont pas des thèmes vraiment décoratifs. L’artiste lui répond que pourtant c’était comme sa vie psychique intérieure lui apparaissait à ce moment-là. « J’avais vingt-six ans, et je me sentais totalement...pas totalement éparpillé, mais en déroute, fragile. Je vivais à base de cigarettes et du whisky....j’eus l’image de moi-même l’image de quelqu’un de mort ou de mort-né. Quand j’étais adolescente j’avais un poster de Frankenstein, dans lequel je voyais Osiris ou Jésus - l’idée de la résurrection. Durant toute ma jeunesse mon père fut très malade et traversé par des idées morbides. Si j’étais en Californie, il m’appelait au téléphone et me disait qu’il allait mourir; je sautais dans le premier avion, rentrais à la maison, et c’est alors qu’il me disait, je suis désolé, je ne vais pas mourir - c’était très morbide » 6.
    C’est à cette époque qu’elle fait la découverte des livres d’anatomie : « Quand j’avais vingt-six ans, j’avais un petit ami vraiment élégant, s’asseyant le plus souvent pour lire des livres traitant de sciences. Il était courtier en livres au Strand (une librairie de New-York) et je pouvais obtenir tous les livres possibles, le plus souvent des trucs étranges. Je découvrais alors que je pouvais exploiter le langage d’une discipline en l’introduisant dans sa vie personnelle, intégrer un système dans un autre. Finalement, quelqu’un me donna un livre de la Renaissance avec des images des systèmes circulatoires. Puis j’ai reçu un livre de dessins par Vesalius...»7. Cette citation soulève l’aspect autobiographique de l’oeuvre de Smith. L’artiste dit que les dix ou quinze premières années de son travail ont été autobiographiques, et qu’à l’époque, elle avait plusieurs aspects émotionnels à travailler dans sa vie. Et qui comme artiste, on fait des choses aussi tortueux qu’on le ressent 8.
    Kiki Smith est la fille du sculpteur minimaliste Tony Smith. Pendant son enfance, les visites des amis de son père comme Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman, Mark de Suvero, Richard Tuttle, pour en citer seulement quelques- uns, faisaient partie du quotidien. Selon Eleanor Heartney, les critiques remarquent souvent le contraste entre l’oeuvre de l’artiste et celle de son père 9. Il était connu pour ses pièces monumentales en acier poli et par ses arrangements de formes rectangulaires. Heartney pense, que, si le travail de son père est « minimaliste », le travail de Smith peut être considéré comme « maximalist »10 . Si le travail de Smith fait allusion au corps humain, au monde naturel ou supra naturel, habité par des oiseaux, des fées ou des créatures fantastiques, le travail de son père était plus proche de l’abstraction géométrique. De plus, les matériaux choisis par les deux artistes sont différents. Si Tony Smith choisissait des matériaux durs et durables, comme le bronze, l’acier ou l’aluminium, le choix des matériaux de Smith se portait plutôt sur la fragilité et l’éphémère. Elle utilise le papier, le plâtre, la cire d’abeille, le verre ou encore la céramique. L’artiste pense que sa dette par rapport au travail de son père, est probablement l’utilisation de petits structures semblables à des cellules, pour construire un grand ensemble 11
    Selon Heartney, la morbidité qui se dégage de certaines oeuvres du début de la carrière de Smith est devenue un leitmotiv dans sa production de l’époque, et ceci a été accentué par la mort de son père 12. Mais la mort était déjà présente dans les années 80 dans la famille de Smith, quand sa sœur, Bebe, est décédé du SIDA. La présence du SIDA n’était pas sans importance aussi dans le contexte artistique de l’époque. L’épidémie croissante et dévastatrice du sida débouchait sur la mort et incitait les artistes à appréhender le corps dans sa relation avec l’autorité sociale, les idéologies coercitives et l’homophobie 13.
    Juste après le décès de son père, l’artiste a fait Hand in Jar, (1980) (fig.1). Une main


fig.1
fig. 1 Hand in Jar 1980 algae, eau, latex, verre

en latex trouvée dans la rue a été plongé dans un pot en verre. Après l’artiste a versé de l’eau sale de son aquarium dedans et des algues on commencé a pousser. Cette oeuvre est une des seules de Smith où l’artiste utilise le verre pour séparer une partie coupée du corps du monde extérieur. Dans ce sens, Hand in Jar (1980) se rapproche de l’ambiance des cabinets de curiosités. La main devient, dans le pot, un objet d’observation : « Dans les cabinets d’anatomie et de curiosité des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, la singularité justifie à elle seule la présence des objets » 14. Selon Beaudonnet-Genaitay, par souci de transparence, le verre (bocal, aquarium ou vitre) permet de mettre en vue le spécimen, facilitant ainsi son étude » 15.
    Les algues qui se développent dans le liquide peuvent faire penser à des substances en état de décomposition. Pourtant quand l’artiste parle de ses motivations pour faire le travail, l’adjectif « morbide » -que Heartney emploie à propos de plusieurs oeuvres de Smith- ne semble pas suffisamment précis pour comprendre Hand in Jar. Une volonté de rechercher des aspects parfois cachés de la vie, derrière ce qui en apparence paraît plutôt lié à la mort, semble être souvent le moteur du travail de l’artiste. 
    Pour faire Hand in Jar, l’artiste raconte qu’à l’époque, elle s’intéressait aux relations de « parasite-hôte », aux relations symbiotiques. Elle a affirmé que les maladies étaient des choses très intéressantes : « un virus peut défier la mort -il peut avoir des attributs de vie, puis des attributs de mort, et ensuite revenir à la vie. Il peut aller en enfer et revenir. La main avec la moisissure est comme la vie qui pousse dans la vie et dans la mort. C’était une manière de penser à la résurrection et à la régénération »16. Elle a également dit qu’elle trouvait nécessaire de penser à ce genre de relation dans sa propre vie. « J’étais intéressée par les multiples relations parasitaires et symbiotiques ; je pensais que c’était fascinant et nécessaire d’y penser dans sa propre vie - de la nature interdépendante du monde et de sa dimension collaborative, comme le travail en équipe. Nous sommes de petits écosystèmes » 17.
    Même si tous les travaux de cette époque ont une apparence assez sombre, quand l’artiste évoque ses motivations, on comprend que derrière cet apparente morbidité, se cache une curiosité par rapport à la vie, dans tous ses aspects. Il faut se rappeler aussi que derrière les corps morbides et l’exposition d’organes, le corps dans l’oeuvre de Smith, est toujours un corps de nature symbolique : « Il me semble, en fait, que je représente des manifestations physiques, des dilemmes d’ordre psychique et spirituel. Les dilemmes spirituels sont interprétés physiquement » 18.
    Dans ses premières œuvres, où l’artiste représente des organes internes du corps, on trouve Womb, de 1998, un utérus en bronze (fig. 2), Untitled (Heart) (fig. 3), de 1986, un coeur en plâtre recouvert de feuilles d’argent. L’artiste a aussi représenté les systèmes uro génitaux féminin et masculin en bronze (Uro-Genital System, 1986 ) (fig. 4-5), les côtes en terre (Ribs, 1987) (fig. 6), un système digestif en fer (Digestive System, 1988), (fig. 7) parmi d’autres oeuvres.
    Elle a utilisé le dessin et la gravure pour représenter le système nerveux brodé (Nervous Giants, 1987) (fig. 8), le système digestif en gravure (Kiki Smith, 1993) (fig. 9), le cerveau en lithographie (Untitled [Two brains], 1994) (fig. 10). Elle a aussi réalisé plusieurs livres d’artiste sur le thème de l’anatomie, et des systèmes du corps, comme Endocrinology, en 1997 (fig. 11), et Untitled (Book of hours, 1983-2003) (fig. 12). Elle a également créé une sculpture multiple en verre (glass bides), en 1993, intitulée Veins and Arteries, (fig. 13) qui représente notre système sanguin. La reconstruction des organes internes du corps a pour l’artiste un sens de réappropriation de son propre corps. L’artiste raconte : « J’entrais dans une campagne antimédicale : je voyais la médecine comme quelque chose qui s’ emparait de vous, vous maintenait dans votre impuissance. Derrière beaucoup de mes oeuvres précédentes, il y avait l’idée de savoir ce à quoi ressemble votre système digestif, ce qui vous ferait trouver le moyen pour y réfléchir, pour comprendre ce que vous avez besoin de savoir à son sujet. Je suis une personne visuelle, “ une visuelle ” en d’autres termes, donc les images corporelles sont pour moi des sources de savoir - une façon d’ avoir accès » 19.
    L’expérience relève d’une tentative de se connecter à son propre corps par la reconstruction de ses images internes. Se représenter soi-même, ou à nouveau, ce qu’on ne voit pas dans notre corps. La reconstruction articulée par Smith génère une désarticulation et une déstructuration du corps objectif décrit par l’anatomie et la science, pour en faire quelque chose de plus personnel, lié à sa propre histoire.


fig. 2
fig.3


fig. 2 Untitled 1998 bronze.    
fig. 3 Untitled (Heart) 1986 plâtre et feuilles d’argent





fig. 3 

fig. 4


fig. 4, fig. 5 Uro Genital System, 1986 bronze


fig. 6
fig. 6 Ribs 1987 terre cuite 55, 9 x 53,2 x 25,4 cm.


fig. 7

fig. 8

fig. 9




fig. 7 Digestive System 1988 fer 
fig. 8 Nervous Giants 1987 mousseiline brodée
fig. 9 Kiki Smith 1993 gravure




fig. 10
fig.10 Untitled (Two Brains) 1994 lithographie sur papier japonais



fig. 11 fig. 12


fig. 11 Endocrinology 1997 collage sur papier 
fig. 12 Veins and Arteries 1993 perles en verre


    Selon Larys Frogier, les premiers travaux de Smith ne proposent pas encore une investigation critique du corps vue par la science. Ces premières images du corps n’ont pas encore trouvé un site de représentation, de théâtralité, de figuration 20. « L‘urgence pour Smith est de rompre avec la vision du corps anatomique parfaitement signifiant tel qu’il a pu être construit dans nos sociétés occidentales » 21.




II. 2. La construction du corps anatomique, la déconstruction du sujet